L’assurance à l’heure du big data

La révolution introduite par les nouvelles technologies n’épargne pas l’assurance. Les données numérisées par la profession enregistrent depuis quelques années un bond phénoménal.
assurance big dataLicence standard de Fotolia

Les sources et traitements traditionnels de l’information ne permettent plus aux assureurs de bénéficier d’un avantage compétitif.

Selon le rapport World Insurance Report, édité par Capgemini et Efma, près de 80% des dirigeants des sociétés d’assurance désignent le big data comme leur préoccupation majeure.
Il est clair que cette avancée technologique pousse les assureurs à s’engager de plus en plus dans cette voie. Si l’évolution digitale présente de nombreux avantages pour la profession, elle soulève néanmoins des inquiétudes que cet article essaie de cerner.

Assurance & big data : le développement des volumes d’information

Avec le développement informatique, la quantité de données exploitables par les sociétés d’assurance s’est accrue de façon exponentielle. Cette situation est le résultat des diverses avancées technologiques comme la miniaturisation, l’augmentation des capacités de stockage, la fiabilité croissante des données, la commercialisation d’ordinateurs plus performants, etc.

En fait, l’ère du digital a débuté en 2002. Depuis cette date, les solutions de stockage n’ont cessé de se diversifier.

L’évolution des modes et capacités de stockage a permis l’émergence de nouveaux services informatiques : internet, réseaux sociaux, cloud, objets connectés.

Evolution des modes de stockage digital

Evolution modes stockage digital

Evolution de la capacité de stockage (en octets compressés de façon optimale)

Evolution capacite stockage Source: Hilbert, M.,& Lopez, P.(2011). The World’s Technological Capacity to store, communicate and compute information. Science, 332 (6025), 60-65. www.martinhilbert.net/worldinfoCapacity.html

Répartition géographique de l’univers digital en 2012 et estimations pour 2020

Comme le montre le graphe ci-dessous, 51% de l’univers digital sont détenus en 2012 par les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest, la part de la Chine étant de 13% et celle de l’Inde de 4%. Les estimations de 2020 font mention d’une nette poussée des pays émergents ; à elle seule, la Chine concentrera à cette date 21% des flux.

répartition géographique univers digital Source: IDC’s Digital Universe Study, sponsored by EMC, décembre 2012

La masse d’information

Le big data fait ressortir deux types de données:

Les données structurées: ce sont des informations auxquelles les sociétés ont régulièrement recours car aisément exploitables après leur collecte et classement. Il s’agit par exemple de données démographiques ou économiques.

Les données non-structurées: elles regroupent les ressources non organisées de manière prédéfinie telles que vidéos, discours, contenus des médias sociaux, e-mails, etc. Ces données connaissent un essor massif.

Jusqu’à un passé récent, les décisions des sociétés d’assurance reposaient sur un certain nombre de données structurées. Avec l’explosion des médias sociaux est apparue une masse colossale de données non structurées ou non « étiquetées ».

Le développement ultra rapide de l’univers digital

La masse des données collectées sera multipliée par 50 au cours de la période 2010 à fin 2020.

developpement univers digital Source: Source: IDC’s Digital Universe Study, sponsored by EMC, décembre 2012 * Exabyte: unité de mesure de données, utilisée en informatique pour quantifier la taille de la mémoire d’un ordinateur, l’espace utilisable sur un disque dur, la taille d’un fichier, d’un répertoire ou autre.
Un exabyte est égal à 1000 pétaoctets ou 10 puissance 18 octets. Le symbole de l’unité de l’exabyte est EB.

Les nouvelles données

big data

Les avancées technologiques ont favorisé l’émergence de nouvelles données. Selon l’utilisation qui leur est réservée, ces données auront un impact direct sur les produits, la marque, la perception de l’assureur par les clients et bien plus encore.

Toutefois, il ne suffit pas d’amasser les informations, il faut surtout savoir et pouvoir les utiliser. Il est à noter que les autorités sont en mesure de restreindre l’utilisation d’une partie des données disponibles.

Selon le bureau de conseils et d’études des marchés des technologies de l’information IDC (International Data Corporation), 33% de l’univers digital contiendrait dans un futur proche des informations susceptibles d’être utilisées après analyse contre 25% aujourd’hui. IDC estime à seulement 3% la quantité d’informations « étiquetées » sur l’ensemble des données digitales. Ces chiffres donnent un aperçu sur le gigantesque potentiel d’exploitation des données actuellement stockées.

Les avancées vers le « tout digital » font que les données peuvent être collectées par n’importe qui et à n’importe quel moment. Ce constat exerce une pression supplémentaire sur les assureurs qui ne peuvent plus uniquement compter sur leurs propres données internes. Ils se doivent d’utiliser toutes les sources d’information pour mieux comprendre les risques qui les entourent, attirer les clients et les retenir.

Cette approche oblige les assureurs à être proactifs, ils doivent plutôt prédire que réagir. Une telle stratégie n’est possible que s’ils ont suffisamment de données leur permettant de comprendre et suivre en permanence les besoins de leurs clients auxquels ils sont tenus d’offrir des produits sur-mesure.

Assurance & big data : la rapidité dans la collecte et l’exploitation des données

Traditionnellement, l’assureur collecte les données par des procédés discontinus avant de les traiter pour les rendre utilisables par ses différents services. Les traitements de l’information étaient programmés pour être exécutés à des moments et fréquences précis : une fois par semaine, par mois, etc.

Aujourd’hui, l’utilisation des nouvelles technologies dont certaines libres de droit, telles celles développées par la fondation Apache, ouvre la voie à l’acquisition, au tri et à l’exploitation en quelques secondes d’informations aussi bien structurées que non structurées.

Pour gagner du temps, l’assureur doit se fixer des priorités vers lesquelles il orientera ses ressources constituées de capteurs, objets connectés, détecteurs de fraude, modèles mathématiques, logiciels de simulation.

Comment les assureurs utilisent-ils le big data ?

Selon un sondage réalisé auprès de dirigeants de sociétés d’assurance non vie, l’utilisation première du big data concerne de nos jours la tarification, la souscription et la sélection du risque. Les activités de marketing, la distribution et la vente de produits viennent bien après, elles ne constituent pas la priorité actuelle.

Cette hiérarchie dans l’utilisation du big data, c’est-à-dire dans les priorités s’inversera dans les deux prochaines années. Les activités de gestion et de contrôle des souscriptions, des sinistres prendront alors le pas sur tous les autres besoins.

utilisation big data assurance

L’utilisation des capteurs et des objets connectés

C’est dans les domaines de l’assurance automobile et maladie que les capteurs et objets connectés se sont le plus développés.

En automobile, la mise en place de capteurs dans les véhicules permet aux assurés d’obtenir des tarifs personnalisés. La vitesse, les lieux de passage, les plages horaires et le temps d’utilisation sont analysés et débouchent sur une tarification adaptée à la conduite. Cette technologie est capable d’informer l’assureur en temps réel. L’analyse des données recueillies par ce biais permet aux bons conducteurs de bénéficier de réductions tarifaires.

Les voitures autonomes qui fonctionnent à l’aide de capteurs sont également sur le point de révolutionner l’assurance en transférant la responsabilité du conducteur vers celle des constructeurs automobile et autres fournisseurs de logiciels : Google, Uber.

big data

En maladie, de nombreux assureurs tirent profit des avancées technologiques pour proposer à leurs clients des couvertures personnalisées basées sur leur profil de risque. Les informations servant de base à la tarification sont fournies par des capteurs posés à même le corps des assurés (montres, bracelets). Ces capteurs permettent notamment de suivre en continu les patients éloignés et de les orienter en cas de besoin vers les services médicaux les plus proches ou les mieux adaptés.

Autres avantages, les informations récoltées permettent de produire des diagnostics à distance, de délivrer des thérapies ciblées, de détecter les maladies en fonction des prédispositions, de mettre en place une médecine préventive, de réduire les risques et baisser le taux de mortalité.

L’assurance habitation devrait bientôt suivre la voie empruntée par les branches automobile et maladie. Les box domotiques (1) fournissent aux assureurs des renseignements sur le mode de vie de leurs clients. Elles peuvent par exemple détecter les incendies et lutter contre leur propagation. Elles peuvent être proactives dans le domaine de la télésurveillance, gérer l’utilisation des éclairages, de l’énergie. Ces nouvelles technologies offrent non seulement un confort de vie mais limitent également la sinistralité.

(1) Box domotique est le terme générique utilisé pour définir un appareil électronique qui permet de gérer différents accessoires de sécurité, de confort, d’automatisation et de multimédia. Les box domotiques se connectent directement au Box ADSL car elles sont pilotées par Internet.

Contribution du big data dans la détection des fraudes à l’assurance

L’industrie de l’assurance est particulièrement sujette à la fraude. Celle-ci peut avoir lieu lors de la souscription du contrat lorsqu’un assuré cache des informations susceptibles d’accroître le taux de prime du risque. La fraude à l'assurance peut également intervenir lors de la survenance d’un sinistre avec un assuré qui rédige une fausse déclaration afin d’obtenir une indemnisation à laquelle il n’aurait pas droit.

big data

Avec les technologies nouvelles, l’assureur a en sa possession différents moyens de contrôler la véracité des déclarations de l’assuré. Lors de la survenance d’un sinistre, l’assureur peut vérifier la présence ou non de l’assuré sur les lieux de l’événement grâce aux réseaux sociaux à partir desquels il peut consulter les données de géolocalisation des téléphones portables, des e-mails. Il peut également savoir si l’assuré a eu des contacts avec un tiers engagé dans le sinistre.

Enfin, certains assureurs utilisent des modèles statistiques d’analyses prédictives afin de repérer les fraudeurs. Ces procédés se basent sur les comportements observés chez les clients fraudeurs et non fraudeurs. En fonction des résultats de cette analyse, il leur est alors possible de modéliser les futurs comportements afin de mesurer la probabilité de fraude d’un client.

D’autres méthodes utilisées par les compagnies d’assurance comme le text mining(1) se basent sur le big data pour analyser les informations collectées sur chaque client. Ce procédé repose sur l’analyse des termes utilisés dans les déclarations de sinistre. Certains mots étant plus couramment employés par les fraudeurs, leur découverte peut être le signe d’une potentielle tricherie.

Enfin, l’abondance de l’information recueillie par le biais du big data permet également d’affiner les techniques de scoring(2) mises en place par les sociétés d’assurance.

(1) Text mining est un ensemble de méthodes, de techniques et d’outils pour exploiter les documents non structurés
(2) Le scoring est une technique qui permet d’affecter un score à un client ou prospect

Utilisation du big data pour ajuster les stratégies des compagnies d’assurance

La collecte d’un nombre considérable de données aussi bien quantitatives que qualitatives et l’évolution des systèmes informatiques permettent :

  • d’offrir aux clients des garanties mieux adaptées. Il est possible aux assureurs de mettre en place des analyses automatisées afin d’ajuster les couvertures en fonction des besoins détectés et de répondre de façon précise aux différentes demandes des assurés.
  • d’affiner l’analyse du risque et maximiser la rentabilité. Plus l’échantillon de données quantitatives est vaste plus le comportement d’un risque est retranscrit fidèlement. Le tarif est alors déterminé de façon plus précise.
  • d’obtenir une meilleure cohérence des risques acceptés par l’assureur en minimisant les fluctuations aléatoires grâce à une analyse sophistiquée du portefeuille police par police.
  • de conclure des contrats en tous lieux par le biais d’applications mobiles mises à la disposition des souscripteurs. Cette facilité représente un gain important en termes de productivité et renforce également la proximité avec le client.

Les sociétés d’assurance dépendent en grande partie de leur réseau de distribution. La gestion de ce dernier revêt une importance primordiale. En suivant précisément les performances des agents ou courtiers, en analysant certaines informations clés telles que le taux de perte de clients, la taille moyenne des risques,... le calcul de la commission de chaque intermédiaire est mieux adapté à l’effort de production fourni par l’intermédiaire.

Big data et fidélisation des clients des assureurs

Quels sont les clients à retenir et ceux qu’il est préférable de ne plus avoir en portefeuille ? La réponse à cette question peut être résolue par l’extraction et l’analyse des informations disponibles grâce au big data.

big data

Les systèmes informatiques des sociétés d’assurance peuvent repérer les cotations émises par les concurrents pour les clients en portefeuille. Ils peuvent également détecter les clients qui cherchent des tarifs plus compétitifs.

De même, lorsque la situation d’un assuré change, les assureurs ne sont pas souvent réactifs pour évaluer ses nouveaux besoins en termes de couverture. C’est le cas, par exemple lors d’un changement de pouvoir d’achat d’un assuré : lorsqu’un étudiant entre sur le marché du travail, lorsqu’un employé obtient une promotion ou lors d’un départ à la retraite.

De nos jours, les outils d’analyse des ventes connaissent un fort développement. Ces outils proposent aux clients les couvertures optimales en fonction de leur profil et permettent de retenir les assurés susceptibles de passer à la concurrence.

Certains assureurs développent également des plateformes afin d’interagir avec leur clientèle. C’est le cas par exemple de l’assureur américain MetLife qui centralise sur une seule et même plate-forme des informations disponibles auparavant dans 70 systèmes différents. Cette opération a permis à la société d’échanger plus efficacement avec ses assurés et de mieux appréhender leurs problèmes et besoins.

Le big data face aux exigences de Solvabilité 2

Solvabilité 2 oblige les compagnies d’assurance à garantir en permanence la qualité et l’exactitude des données. A ce titre, les assureurs sont dans l’obligation de fournir aux autorités de contrôle des rapports contenant les informations clés. Le big data permet alors de confronter ces données à des tests de cohérence pour confirmer leur véracité et exhaustivité.

Interrogations soulevées par le big data

Si le big data remplit d’espoir les assureurs, il représente néanmoins une source d’inquiétude.
Les bouleversements qu’il impose peuvent avoir de nombreux effets négatifs:

  • big dataLes données et informations confidentielles des assurés sont détenues par des sociétés privées et services publics. Certaines d’entre elles revêtent un caractère personnel en rapport avec la santé et la situation bancaire et financière des assurés. Ces informations peuvent tomber entre les mains de personnes malveillantes ou de pirates informatiques. La question est de savoir jusqu’où la législation est en mesure de protéger les assurés. Cette situation constitue actuellement un frein à l’exploitation des données.
  • La fourniture d’offres à tarifs individualisés risque de nuire à la profession. Elle va à l’encontre du principe de mutualisation des risques, fondement même de l’assurance.
  • La connaissance précise des risques et leur suivi en continu suppriment une grande partie de l’aléa, autre principe de base de l’assurance
  • Les investissements aussi bien humains que matériels pour collecter et traiter l’information sont importants. Le retour sur investissement n’est pas garanti à ce jour.
  • Le big data s’avérant indispensable, les assureurs qui ne seront pas en mesure de s’y adapter risquent de disparaître. De plus, cette nouvelle technologie a permis l’arrivée de nouveaux concurrents, tels que Google, qui possèdent par nature un accès aux données des utilisateurs et ont les moyens financiers et techniques pour se différencier et s’imposer.
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