Gigantisme maritime : la course à la rentabilité aux dépens de la sécurité

On pourrait penser que la mésaventure de l’Ever Given constitue un coup d’arrêt à cette course effrénée des armateurs au gigantisme. Malheureusement, les considérables enjeux économiques, financiers et logistiques ne permettent pas à l’industrie du transport maritime d’envisager une telle possibilité à court terme.

porte-conteneursPour l’heure, les porte-conteneurs représentent l’épine dorsale du commerce mondial. Ces géants des mers assurent, à eux seuls, plus de 60% de l’ensemble du transport maritime, ce qui représente en termes de valeur 14 000 milliards USD de marchandises transportées en 2019.

Au cours de la même année, 863 millions de conteneurs, cumulant environ 2 milliards de tonnes de marchandises, ont transité d’un port à l’autre à travers le globe.

Cette évolution en valeur et en volume est confortée par la baisse des coûts du transport maritime. Au cours des dix dernières années, le prix de ce type de fret a été quasiment divisé par deux, tandis que celui du transport routier et aérien est resté stable.

Avec la mondialisation croissante et la concurrence intense, les entreprises sont plus que jamais à la recherche d’une meilleure rentabilité à travers la réduction des coûts de production et de transport. Les porte-conteneurs deviennent ainsi un maillon essentiel de la chaîne de production.

Ce mode de transport gagne de plus en plus de terrain grâce à :

  • une économie d’échelle réalisée à l’aide d’une importante réduction des coûts au niveau carburant, main d’œuvre, …
  • une capacité de chargement beaucoup plus élevée que celle proposée par les autres moyens de transport : route, train, avion. Cette capacité a été multipliée par quatre en vingt-cinq ans.
  • un nombre important de ports pouvant être desservis au cours d’un seul voyage.
  • la possibilité de charger toutes sortes de marchandises : liquides, vrac, voitures, bétail, …
  • l’intermodularité : capacité de transporter les marchandises de porte à porte à l’intérieur d’un même conteneur.

Contraintes du gigantisme maritime

Malgré ces importantes évolutions, le gigantisme maritime impose de nombreuses contraintes.

  • Les navires, trop grands, deviennent très difficiles à manœuvrer,
  • La lenteur des porte-conteneurs. Pour réduire les charges en carburant et améliorer leur rentabilité, les armateurs ralentissent la vitesse des navires. L’aller-retour Europe-Chine est effectué en dix semaines au lieu de huit avec une vitesse moyenne ramenée à 19 nœuds (35 km/h),
  • De moins en moins de ports sont adaptés aux dimensions de ces bateaux hors-norme. Beaucoup de bassins portuaires sont trop petits pour permettre à ces navires de manœuvrer et d’accoster. Certains pays, en particulier asiatiques, optent pour l’aménagement de leurs ports. C’est le cas de Hong Kong, Shanghai (Chine) ou encore Busan (Corée du Sud),
  • Les infrastructures terrestres (aires de stockage, équipements portuaires,) sont parfois insuffisantes pour autoriser les chargements et déchargements des navires dans de bonnes conditions,
  • L’amarrage d’un seul porte-conteneurs de ce type, de 350 à 400 mètres de longueur, rallonge le délai d’attente pour les autres navires,
  • Le temps de chargement et de déchargement des conteneurs est plus long : le déchargement d’un porte-conteneurs de plus de 22 000 EVP nécessite plusieurs jours de travail,
  • Certaines routes doivent s’adapter en permanence pour assurer le passage de ces mastodontes : canal de Suez, canal de Panama, …
  • La pollution et l’impact écologique. Plusieurs milliers de conteneurs, pouvant renfermer des produits toxiques, finissent chaque année au fond des océans,
  • Un risque d’échouage plus important. Pas moins de sept accidents ont été recensés entre octobre 2020 et février 2021 en plus de celui de l’Ever Given dans le canal de Suez, fin mars 2021,
  • Des pertes financières colossales en cas d’échouage ou d’incident.

Gigantisme maritime : les risques liés à l’accumulation de valeurs

porte conteneursUn porte-conteneurs de 20 000 EVP transporte en moyenne une cargaison d’une valeur de l’ordre de 1 milliard EUR. S’ajoutent à ce montant, les dommages subis par le navire lui-même qui peuvent atteindre jusqu’à 200 millions USD en cas de perte totale du corps.

En cas de sinistre majeur, l’accumulation de telles valeurs sur un seul navire peut occasionner de lourdes pertes pour les assureurs maritimes. De plus, l’évaluation des dommages qui peut durer plusieurs années, se révèle un véritable casse-tête pour la profession. Cette opération devra cerner certains éléments comme :

  • la détermination des responsabilités,
  • l’évaluation des pertes liées à l’interruption de la chaîne d’approvisionnement,
  • l’estimation du manque à gagner des différents acteurs intervenants dans la chaîne de transport maritime.

Les contraintes liées au gigantisme et à l’accumulation des valeurs posent un problème crucial de couverture assurantielle, d’autant plus que le risque incendie reste élevé.

Le risque incendie à bord des porte-conteneurs

L’incendie constitue l’aléa le plus élevé encouru par les porte-conteneurs. La fréquence et la sévérité de ce type de sinistre ont atteint en 2019 un niveau jamais enregistré.

Selon le rapport annuel 2020 sur la sécurité maritime publié par Allianz, pas moins de 40 incendies ont été recensés en 2019, soit en moyenne un tous les 10 jours.

En cinquante ans, la taille des navires a certes triplé et la capacité a été multipliée par 16 (passant de 1 500 EVP en 1968 à 24 000 EVP aujourd'hui) mais les équipements de sécurité, particulièrement le matériel de lutte contre les incendies, ont peu évolué.

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